Eudes Menichetti, le fantôme baroqueLise Ott, Midi Libre 15.01.07 Treize dessins, dont des aquarelles, et quatre gravures, le tout de format moyen et datées de 2005 – 2006 : la nouvelle exposition du parisien Eudes Menichetti à Montpellier, après dix ans d’absence, est une des bonnes nouvelles du mois de janvier. Né en 1966, diplômé des Beaux arts de Nîmes, l’artiste s’est fait connaître, dans les années 80, au sein du petit groupe Octopussy qui plaçait en première ligne Andy Warhol et Jeff Koons, tout en nourrissant l’irrépressible envie de renouveler les sujets traditionnels via l’art populaire. Une sorte de figuration libre imprégnée de la rébellion du Pop Art, et joyeusement persuadée que Picabia et le dadaïsme n’avaient pas dit leur dernier mot. Dix ans plus tard, qu’en reste-t-il ? Une force incroyable pour le dessin : traits ténus qui fourmillent, lignes sans fin, tracés qui s’autogénèrent avec un sens incroyable de la vitalité des formes, goût pour l’intime – lequel se situe en priorité intus et in cute, comme dirait Rousseau, à l’intérieur et sous la peau. Les œuvres récentes disent cela, avec la timidité qui se révèle lorsqu’il passe à la page blanche. S’y profile alors une prédilection pour une figure venue de l’antique et du baroque : hommes écorchés et planches d’anatomie évoluant comme fantômes dans l’opéra de l’inspiration. On n'en voit guère d’équivalent chez les aînés qu’auprès du sétois Daniel Dezeuze, sans doute le maître indirect de beaucoup en région et ailleurs. Pour les plus jeunes, comme Eudes, il n’est que de suivre l’évolution d’Abdelkader Benchamma, Georges Boulard et Jean-Luc Verna, dont les œuvres sont visibles dans l’expo collective L’amour de soi, à la galerie Iconoscope. Chez tous, la synthèse s’opère entre le surréalisme, pour le télescopage d’associations d’idées connectées avec la réalité, et le dadaïsme, pour une offensive en collages souvent érotiques et bousculant l’ordre moral. Même tendance en jeune danse contemporaine, d’ailleurs, pour qui aussi, la survie est à ce prix. Contre et avec l’air du temps, qui n’a rien de tendre. Eudes, qui a toujours joué la carte du faux naïf, explique ça en ces termes entre appétit pour l’énigme et les cadavres exquis : « J’aime la culture qui sensibilise tout le monde. J’aime refléter la quotidienneté de la vie : Je lis, je mange, je vais au cinéma, j’ai des amis. » Hommes fougères au réseau capillaire exacerbé, vertébrés sautant à la corde, idoles féminines à l’enfant, virginité mise à nu (un air en cela de Frida Kalho), autoportrait arborant le masque vertigineux des vaisseaux sanguins à deux couleurs, comme un Aborigène hors du temps. Mais aussi, émanations du fantasme noir avec un retour latent au symbolisme d’un Gustave Moreau, chimères en lutte contre le bonheur béat, paradis de l’enfance revisité par l’inquiétude de soi : bref de quoi saisir, effaré, sans répit, la sensibilité d’écorché vif du bonhomme, qui a vraiment du talent. Lise Ott, 2007
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