galerie les Chantiers Boite Noire

Nina Roussière

A corps perdu

 

La définition d'une oeuvre d'art de forme pure, selon I. Witkiewicz, se manifesterait par " l'unité dans la multiplicité". L'oeuvre d'art est, dans son unité, le reflet de l'individu qui la crée, elle est la transposition en " forme pure " dans son sentiment métaphysique. D’une certaine manière, c’est ce que Nina Roussière explore et recherche en pratiquant le dessin dans une approche complexe et empirique, que ce soit sur papier, sur toile ou en photographie, elle livre un combat où se jouent métaphoriquement sa vie, le temps, l’art, l’époque.

Selon une entrée extrêmement rigoureuse l’artiste met en perspective le langage (son histoire, la densité élastique de l’évolution des glyphes de l’origine au numérique), les tracés exécutés se traduisent à l’écran en signaux numériques.

Nina produit en quelque sorte le squelette d’un univers sans temporalité. Il y a un processus d’émergence. Les formes sont mouvantes et fécondes entre elles, les algorithmes les relient selon des directions imposées, afin de fixer une mutation ; car elle aime à croire que sous la surface, les objets, les événements sont tissés entre eux. Les constellations ainsi créées sont imprimées et par moment véritablement absorbées par l’espace restreint de la machine (une imprimante). L’artiste engage alors une lutte contre le rythme mécanique, il faut lâcher prise, faire pression, en contrarier le déroulement, pour obtenir une tranche de vie, la sienne. Le corps est là, dans la pression qu’il fait subir à la machine. De cet «échec » surgit la grâce, l’oubli de soi. Mais aussi une forme imprévue et unique qui marque le dessin.

Puis, l’artiste redonne une matérialité à ce qui a disparu, en traçant directement au fusain sur la sortie numérique, la perception qu’elle a du glyphe. A la recherche de la « forme pure », c’est un geste qui lui permet de se situer dans le dessin. Elle écrase le charbon sur le papier, y souffle un coup de vent, offre un mouvement. L’action est perceptible. La trace manuelle marque un instant, un présent furtif.

Source de fascination et de réflexions métaphysiques, les oeuvres de Nina Roussière nous projettent dans un univers intemporel où dialoguent corps subtils et signaux numériques alimentant un métalangage singulier qui nous invite à observer les vibrations infinies du dessin.

Christian Laune

 

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