galerie les Chantiers Boite Noire

Eudes Menichetti

Jacasseries

Papiers libres #48

Extraits

 

- Au fond cette couleur verdâtre générale, c’est assez dégoûtant, ces viscères, ces entrailles humaines mises à découvert, c’est l’organique au profit de l’apparence. Sois persuadé René, que c’est pourtant celles qui nous constituent : c’est ce « mou » qui agit « le dur ».

- Pas seulement. Ce n’est pas qu’incongru ou monstrueux. Ces tissus cellulaires, ces glandes, ces neurones, sont habités par des petits êtres, petits génies ou petits démons noirs visibles, dans le crâne représenté de l’artiste. Des fantômes supposés hanter son esprit comme dans « Bon à rien ».

- Pour toi, il y aurait une allusion à la vie psychique se déroulant parallèllement à la vie physique. Un ratage même. Il se pourrait bien, car ces petits êtres font partie des réseaux humoraux et vasculaires au point qu’on ne sait dire s’ils en sont prisonniers ou non.

- Ces espèces de visions oniriques sont tellement autobiographiques. On reconnaît le visage de l’artiste dans cette leçon de choses très personnalisée. Quand tu as une douleur physique intense, que tu veux en savoir plus  sur elle, et que tu fermes les yeux en concentrant ton attention sur cette partie douloureuse, tu peux avoir des visions semblables de l’intérieur de ton corps.

- Moi, ces configurations d’organes et de flux me font penser au transit du « bol alimentaire » chez Vim Delvoye. C’est brutalement réaliste mais pas monstrueux, c’est simplement moins propre que le squelette blanchi des amphis de fac de médecine. Alors toi, tu penses que ce n’est pas un goût latin pour le macabre et plus encore napolitain. A Naples, dans la chambre funéraire de la famille des De Sangro ( Sangre en espagnol c’est le sang !). Aujourd’hui chapelle San Severo – Santa Maria Pieta dei San Severo, je crois – il y a sous vitrine des réseaux sanguins pétrifiés de deux hommes adéquatement préparés avec les pratiques louches de Don Raimondo De Sangro du 18ème siècle.

- C’est assez rare de voir qu’un artiste nous découvre même avec les ruses de son inconscient de quoi il est enceint, de quelles peurs et de quels désirs il est engrossé. Son dessin des silhouettes s’appliquant autrefois à des histoires sous forme de BD a gagné en acuité et sert admirablement son imagerie du corps et ses fantasmagories comme s’il avait  ajusté son microscope sur l’intérieur de l’être et non plus sur sa seule apparence.

- En quelque sorte, un matérialiste désenchanté et un peu triste allant au-delà des apparences de l’être social, conscient de ce qui est advenu de lui et « essayant de vivre avec çà », avec son héritage génétique. Il n’y a qu’à lire les textes révélateurs à cet égard accompagnant ses portraits. Au travers de son imaginaire du corps, et des tensions entre réalité psychique et règne animal, il semble nous redire la vérité toute relative que la tête se nourrit aussi du corps qui la porte.

 

Retranscription des propos recueillis auprès des visiteurs de l’exposition E.M à la galerie ChantiersBoîteNoire, Montpellier

Papiers libres #48  .Janvier – mars 2007