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Christophe Sarlin

Interview de Christophe Sarlin

Medhi Brit, Corinne Rondeau, http://www.20qmberlin.com/bilder/sarlin/zqm_ChristopheSarlin.pdf

 

Ton travail nous plonge au cœur d’un nombre exponentiel d’hypothèses. Dans quelle mesure la relation entre le temps et la mémoire paraît essentielle dans tes recherches ?

Oui, le rapport que nous avons au temps, par la mémoire, mais aussi l’anticipation m’intéresse. Il faut comprendre que notre perception des éléments est déterminée par cette relation. Finalement, nous sommes toujours au point exact du croisement entre ce qui nous précède et ce qui va arriver. Cela parait inflexible, et jouer avec le schéma temporel d’un objet ou d’une situation, évoque pour moi un sentiment de liberté auquel je veux donner une possibilité d’existence.

Ce sentiment n’est pas seulement celui de s’affranchir du cours du temps en mélangeant ou en inversant les hypothèses. La mémoire produit un effacement assez proche de la marge d’erreur que génère l’anticipation. C’est précisément dans cet écart, dans ce décollement que j’inscris mes propositions.

En me référant plus particulièrement à « My connexions » et à « 1963 - 2012 », tu jongles constamment, et ce avec humour, entre fiction et réalité. Est-ce une manière de jouer avec l’idée qu’on se fait du vrai, de la vérité ?

Je ne pense pas «jongler» entre réalité et fiction. Il n’y a pas de passage de l’un à l’autre dans ces deux œuvres, mais plutôt une fusion, une corrélation entre réalité et fiction.

Dans « My connexions» j’établis ma relation de mémoire, sous forme de schémas très simples, avec un évènement historique, comme l’assassinat de JFK ou la junte Chilienne de Pinochet.

Ici, l’Histoire est vue comme une matrice déformable, ré envisageable. Bref, le lieu d’un récit où j’aurais ma place.

De prime abord, il y a une ambigüité sur le statut de ces connexions. Peut-être par ce que la période à laquelle je me relie n’est pas la mienne. Ainsi, au plus je me rapproche du dit évènement, au plus je m’éloigne de ma propre réalité pour plonger dans une histoire collective. Une mémoire partageable.

Dans 1963-2011, une tôle de métal posé au sol en léger décollement, et diffuse un message sonore lu par une synthèse vocale. La tôle est laquée avec la même couleur que la voiture de Kennedy le jour de son assassinat (bleu continental - Lincoln). La bande sonore émane de dessous la tôle et diffuse la lecture du rapport Warren. En quelque sorte, le son qui décrit l’assassinat de JFK, et que nous savons aujourd’hui n’être qu’une fiction, sert de socle à la surface bleue.

La valeur du temps, par la mémoire que nous avons d’un épisode de l’Histoire par exemple, réduit selon moi l’écart entre réalité et fiction.

Finalement, l’idée de document et le témoignage sont totalement repensés. La « preuve » n’est-elle qu’un prétexte pour mettre en chantier ces investigations formelles ?

Il faudrait toujours être prêt à douter de tout. J’essaie dans les formes et les promesses que je produis, d’esquisser ce sentiment de doute.

D’une certaine façon, l’absence de preuve m’intéresse davantage. Les passages de l’Histoire qui ont retenu mon attention sont entre autres chose liés à cela. Je pense par exemple à l’assassinat de JFK, à l’affaire du Watergate ou aux pierres de Caral. Ce sont des « événements» dont l’origine nous échappe. La preuve n’est finalement qu’une hypothèse assez fragile.

Dans la série Watergate Painting, je me suis intéressé aux parties cachées des documents du FBI sur l’affaire du Watergate. Ces zones cachées sont une porte ouverte à d’autres possibilités que celles transmises par l’Histoire.

Lorsque j’ai interviewé Nicole Salinger dans Salinger Memory, j’avais cette idée que la dimension documentaire de la vidéo alors réalisées, pouvait s’ouvrir sur l’imprécision de sa mémoire.

En 2007, j’ai demandé à Nicole Salinger, femme de Pierre Salinger porte parole de la maison blanche sous Kennedy et directeur de campagne des frère Kennedy, de témoigner de mémoire de la relation qu’avait son mari avec

JFK. Durant 14 min, Nicole Salinger évoque cela... Mais au cour de la vidéo nous apprenons que Nicole Salinger ne connaissait à l’époque, ni Pierre Salinger, ni JFK... son témoignage, comme le statut de la vidéo, devient alors ambiguë et incertain.

En trois mots, comment définis-tu ton travail, ta pratique ?

Infime partie du monde.

Avec Watergate painting et Chine 2050, les références à l’histoire de l’art et à la peinture constituent une porte ouverte sur l’économie et la politique. Est-ce un moyen de créer un pont, un passage pour faire de l’œuvre, un territoire de réflexion sur notre système sociétal ?

Ces deux projets font partie d’une des divisions de mon travail que je nomme «système de corrélation». Il s’agit de générer des formes, des situations, des idées... à partir de croisements, de superpositions et d’équivalences avec différents domaines. Au final, les projets issus de ce système, sont toujours au point intermédiaire entre plusieurs domaines d’activités, plusieurs univers. Le système de corrélation évoque le rapport de projections possibles entre l’objet que nous voyons (l’œuvre) et ce que nous connaissons ou avons retenu du monde.

Par exemple les Watergate Paintings sont générés à partir des caviardages réalisés par le FBI sur les documents d’enquête de l’affaire du watergang. Ces formes sont assez proches de celle produites par l’abstraction américaine des années 1970. Il est intéressant de noter que le rapport entre l’affaire du Watergate et l’abstraction pictural américaine n’est pas que formel. D’un point de vue conceptuel et théorique ce sont deux évènements qui conduisent à la même fin.

Depuis une année, je travaille sur une série que je nomme Offshore Process, qui est une conséquence des systèmes de corrélations. Dans cette série, les références à l’histoire de l’art s’estompe. Il s’agit plutôt de trouver le point de partage, d’équivalence, entre plusieurs domaines d’activités plusieurs champs disciplinaire et chronologique. Je m’aperçois que ce point est atteint lorsque la compréhension s’achève et laisse place à l’inconnu. Je pense que l’inconnu engage une idée d’égalité.

Time Series ne révèle t-elle pas les fragilités de ce système ?

Pour Time Series, j’ai superposé deux graphiques économiques. Le premier anticipe l’année 2009, le second est le graphique effectif de l’année 2009. L’écart entre les deux est coloré en noir.

Time Series évoque le terme d’erreur entre ce que l’on a imaginé pour l’avenir du monde et ce qu’il est. Ce sont les variations dans un scénario que finalement nous ne maitrisons pas.

C’est avec Unclassifiable objects que les formes minimalistes sont empreintes de mystères et que le scénario se transforme en énigme...n’est ce pas...ou peut-être pas ?

Au début des années 2000, neuf pierres de formes minimales ont été découvertes sur le site archéologique de Caral, première civilisation américaine connu à ce jour. Aujourd’hui encore la fonction, la technique de taille et la provenance de la pierre demeurent inconnues.

Je me suis intéressé à ces objets car il n’évoquait aucun lien avec leur contexte. Il y avait ici neuf formes inclassables où tout était à réenvisager. Le temps avait produit un effacement. L’origine ne détermine plus la signification.

La caractéristique minimale de ces pierres rejoint ici l’idée d’inconnu.

L’exploration de toutes ces données historiques et politiques n’est-elle pas portée par un sens de l’humour aiguisé voire cynique ?

Il y a certainement de cela.

Et le Degré d’existence relative dans tout cela ?

Par un geste simple et radical, DER évoque l’écart à ce qui fait référence ou perfection. En somme, la marge d’erreur qui définit notre potentiel d’existence, notre degré humanité. Il y a pour moi une relation bien déterminée entre l’existence et la notion d’écart : les variations entre ce qui est et ce que nous sommes.

Qu’aimes-tu lire en général ?

Bien des choses.

Mais la lecture n’est pas pour moi un moment très agréable. Il y a des livres dont je ne connais pas la fin et que je n’ai pu achever. Je pense aux Misérables de Victor Hugo. J’ai une lecture lente, avec de grands moments de

pauses, de rêveries. La sensation assez intense de vivre les évènements.

J’ai lu récemment, Méharée de T Monod, un livre passionnant dressant le récit de son expérience dans le Sahara,

Candide de Voltaire et le chaos et l’harmonie de Trinh Xuan Thuan. Actuellement, je lis Les Démons de Dostoïevski.

La littérature Russe me fascine

La prochaine hypothèse, c’est pour quand ?

2077 date statistique de ma mort.

Le journal économique à ne pas louper ?

A.E.R - American Economic Review, est certainement la revue à caractère scientifique la plus complète en matière d’économie. Mais il faut nuancer son contenu, qui n’est qu’une hypothèse parmi d’autres et certainement pas la plus transgressive.

L’idéal d’un système économique ?

Il faudrait peut-être parler d’un idéal d’Homme. La notion de système et d’économie me semble éloignée de celle d’idéal.

Et pour finir, quelques mots sur toi...

Devenir Sans foi ni loi.