galerie les Chantiers Boite Noire

Lucien Pelen

Lucien Pelen

Hélène Guenin, Frac Lorraine 2008

 

Est-ce un trapéziste maladroit, emporté dans son élan et poursuivant sa course au-delà des filets ? Un acrobate égaré prenant une chaise de cuisine pour une barre d’équilibre ? Ou un homme en proie à un objet animé, soudain saisi de l’irrépressible envie de prendre de l’altitude ? Image énigmatique que celle de ce corps suspendu dans le paysage. Esquisse-t-il son envol ou se prépare-t-il à tomber ? Il ne semble pas vouloir partager le destin d’Icare, saisi dans un instant de flottement entre ciel et terre, une chaise à bout de bras comme seul cap et flotteur, refusant le parti de la chute ou de l’ascension.
L’instant décisif est là, et celui-là seul compte. Ce petit bonhomme accroché au bout de sa chaise, perdu dans le paysage, semble résumer à lui seul le fragile équilibre de nos existences ponctuées de choix et de prises de risques, de moments d’apesanteur et d’écueils.
Tout est là, dans ce saut audacieux et dans l’extrême vulnérabilité du corps exposé.
L’histoire de la performance nous a livré quelques fameux exemples de défi aux lois de la pesanteur. La gamme se décline du geste fou et pathétique d’une humanité encombrée de son poids et de sa maladresse à la « lévitation héroïque », « célébration joyeuse de l’essence de la vie  »… D’un Gino de Dominicis qui en 1970 se prend pour un oiseau et tente vainement d’échapper à la gravité en battant énergiquement des bras (Tentativo di Volo) au saut de l’ange sublime et conquérant d’un Yves Klein qui s’élance vers le ciel (Saut dans le vide, 1960).
Mais Lucien Pelen nous place dans un registre tout personnel avec cette ligne que dessine son corps, comme un nouvel horizon du paysage, ponctué de la chaise qui semble être son lien avec le ciel. La photo le capture dans l’instant parfait de l’entre deux : ni sursaut laborieux, ni vol conquérant, il plane !
Et cette chaise incongrue à laquelle il s’accroche ou qu’il cherche à rattraper nous renvoie davantage, dans ce mélange de sublime et de dérision, aux scènes absurdes d’un Peter Land qui n’en finit pas de tomber de son échelle et tente chaque fois de s’accrocher au pinceau (Step ladder blue, 1995). « Jouer d’humour et d’autodérision sur les/sa propre grande(s) figure(s) et posture(s), romantiques notamment. » nous dit l’artiste « Entre narcissisme et appel au secours. »
Un brin de hauteur donc….
Dans cette performance de « haut vol », puisqu’il s’agit bien d’un saut fou exécuté par l’artiste, Lucien Pelen nous propose un voyage sans filet, fondé sur le principe de l’incertitude. Quelle sera l’issue de cette suspension ? L’exercice prend une autre résonance lorsqu’on lit les propos de l’artiste sur la création « que pourrait-on dire de plus que l’angoisse de la page vide réduite au format 24 x 36 mm, pousse à la recherche d’assise, d’assiette dans l’espace. S’asseoir sur la rivière asséchée du manque de créativité. Espérer s’asseoir dans l’espace, plonger dans le gaz, tenter un renouement géométrique parfait avec la créativité avant la chute vers le point zéro, la page blanche tachée de vase(…). »
Ou l’artiste comme figure du funambule et la création comme saut périlleux.

 

 

 1. Aaron Schuster, à propos d’Yves Klein in « Le Cosmonaute de l’érotique future : une brève histoire de la lévitation de Saint Joseph à Yuri Gagarine », catalogue du Printemps de septembre, Toulouse, 2008, p.40.