Ni plat Ni Sphère 2
Pourquoi pousse t-on les portes ? Par curiosité, la même qui nous fait mettre sur la pointe des pieds pour découvrir au dessus du portail un jardin caché, recel d’un petit coin de paradis C’est un reflexe originel, universel, depuis l’enfance on veut voir ce qu’il y a ‘’derrière’’. Ce que l’on cherche inconsciemment c’est comment façonner son catalogue émotionnel (je n’aime plus ce terme d’émotionnel depuis les ‘’séquences émotion’’ de N. Hulot, fourre-tout commercial, mais je ne sais pas comment nommer ce catalogue autrement). L’ennui de la préadolescence est à cette nécessité la meilleure des aubaines. On y apprend à s’émerveiller des visages, des corps qui jouent, de la nature, de la musique, de la lecture, des traits et leurs couleurs. Ce catalogue s’incrémente au fil du temps grâce à notre gourmandise, notre indiscrétion. C’est notre unique possession, heureuse, authentique, immatérielle. La houle de notre vie. Et de quoi parlent deux amis, deux amants qui se rencontrent: de leur houle. La sagesse voudrait qu’on en reste là, se contenter de l’entretien et de l’expansion de nos grandes latifundiaires spirituelles et si possible en transmettre les meilleures parcelles à nos proches. Alors pourquoi cette prétention matérielle de ‘’faire collection’’ ? J’avoue c’est une vanité. Vanité sans doute, mais au fond assez rationnelle. Un auteur, un compositeur, à moins qu’il s’en tienne à son manuscrit, a besoin du média, livre, interprète, disque pour arriver jusqu’à vous. Le peintre lui vous cède l’œuvre en direct quasi de la main à la main, de son atelier à chez vous. Qu’il existe des artistes, des démiurges qui fabriquent une pièce pour un destinataire inconnu reste pour moi une étrangeté admirable, une sorte d’ontologie de l’altérité. Voilà pourquoi je pousse les portes des galeries. Je connais Christian Laune depuis tant d’années que je m’y sens chez moi. On partage le même attrait pour les cosmogonies, les anatomies, les histoires naturelles. Ce sont elles qui relient toute sa bande d’artistes : Lucien Pelen, Eudes Menichetti, Nina Roussière, Abdelkader Benchamma, Jimmy Richer et je vis très bien entouré de leurs inventions.
A propos des huit dessins constituants le(s) génie(s) naturel(s) de Jimmy Richer présentés à la galerie chantiersBoîteNoire me vient l’idée suivante. Lorsqu’on s’est mis à décrire le génie naturel de l’anatomie et plus particulièrement des os, il a bien fallu inventer un vocabulaire, les anatomistes l’ont cherché aussi dans ceux de l’histoire naturelle pour mieux imager leur description. On trouve ainsi issu du monde minéral ; monts, cols, crêtes, vallées, épines, bosses, éperons, fosses, cavernes, berges..., ou du monde animal ; becs, crochets, pattes d’oie, ailes, hippocampe etc. Je regarde chaque dessin comme un totem anatomique – génie naturel – bousculé par Jimmy Richer et ses relations à la nature en fétiches polysémiques – génies naturels.Examinez bien ces anatomies ; de la perception que vous en aurez vous viendra l’idée de la légende laissée à votre imagination pour les décrire.
Etienne Cuenant
Mars 2021