Mind the gap 2
La première partie de ce projet exposée, en décembre dernier, avait attiré notre attention et notamment par l’étonnante mise en espace d’un univers fascinant, envoûtant et magnétique qui ne manquait pas d’intriguer le visiteur… On retrouve dans « Mind the Gap 2 » nombre des pièces qui étaient présentées en fin d’année 2020. Certaines sont restées en place. C’est principalement le cas des dessins accrochés dans la grande salle voûtée (Perroquet, Orchidée, Ensemble n° 1 et Pierre, 2020). Quelques-unes ont changé de lieu (Vase éclaté, 2020) ou construisent de captivants dialogues (Obole grecque, 2020 et le bloc de granite) avec d’autres objets…Enfin, plusieurs œuvres nouvelles apparaissent. Elles viennent nouer des conversations mystérieuses dans une installation originale, mais qui paraît habitée par le fantôme de l’exposition précédente… La « présence d’esprits » n’est pas vraiment une surprise pour celles et ceux qui connaissent un peu le travail de Nicolas Aguirre et qui ont notamment suivit les trois actes qui ont conduit à l’installation de son Champ d’échange d’âme, toujours enfermé avec les Possédé.e.s au MO.CO Panacée…
« Mind the Gap 2 » est un étrange mécanisme qui amorce des récits où chaque visiteur a le loisir (ou pas) d’enrichir à partir de ce qu’il voit, de ce qu’il croit voir et surtout en puisant dans des souvenirs, des angoisses, des fantasmes que les objets rassemblés par Nicolas Aguirre font resurgir de nos inconscients…
« … au cœur de tout il y a ce vide… une attente, une ellipse entre toute chose… » écrit très justement Vincent Honoré au début du texte inspiré qu’il signe pour l’exposition… Parcourir « Mind the Gap » est une expérience singulière. C’est s’engager dans un voyage captivant qui navigue entre l’éventualité d’un mystère initiatique et la possible quête introspective…Dès que l’on s’aventure dans la grande salle voûtée, on est surpris par la présence au sol d’un caïman. Menaçant, il ouvre largement sa gueule face à l’image d’une tige de glaïeul issue d’un traitement numérique à partir d’une photographie solarisée. Les reflets du verre de protection et la pâleur des tonalités vertes créent un espace irréel qui contraste avec les branches couvertes de petits escargots blancs qui se découpaient sur un ciel d’azur dans « Mind the Gap 1 »… La peau du crocodilien d’Amérique équatoriale semble faire écho au galet percé de multiples orifices (Pierre, 2020)…
La mise en espace est construite à partir d’une sellette de grand-mère, sur laquelle trône un bouquet de mimosa et de fleurs de pavot installé dans un vase de verre vert…
Les deux poteries (Don contre don) qui servaient de pivot à « Mind the Gap 1 » ont laissé place à deux tables basses bâties à partir de l’assemblage de deux planches soigneusement cirées.
À droite, le plateau de la première repose d’un côté sur un tasseau et de l’autre sur le bloc de granite. Celles et ceux qui ont vu le premier volet de l’exposition, reconnaîtront ce monolithe. En décembre, il était placé verticalement et servait alors de socle pour l’édition 1833 des « taxes des parties casuelles de la boutique du pape, pour la remise, moyennant argent, de tous les crimes et péchés… ».
Sur cette table, une deuxième composition florale accompagne un miroir à trois faces qui semble sorti d’un grenier ou d’une brocante. Un étrange circuit imprimé circulaire est utilisé comme napperon au centre duquel est posée une énigmatique sphère de marbre (?) vert…
Au dos du miroir, on remarque un morceau de bois calciné, probable témoignage d’un éventuel rituel de purification de l’espace d’exposition…
Sur la gauche, la deuxième table, un peu plus haute, repose sur piétement plus élaboré. Au centre, on retrouve un bouquet comparable aux deux précédents. D’un côté, un mystérieux bloc de pierre aux tons brun ocre montre des traces d’oxydation vertes et l’affleurement de cristaux opalescents, bleus et mauves. À l’opposé, sur un circuit imprimé circulaire semblable à celui placé sur la première table, Nicolas Aguirre a installé la molaire de cheval qui lui a servi de modèle pour le dessin exposé dans le premier volet de « Mind the Gap ». Au fond, le kilim (Vase éclaté, 2020) a migré dans la deuxième salle. Il laisse sa place à un dessin à la pierre noire, exécuté directement sur le mur.
Représente-t-il la poterie fissurée du kilim qui vole en morceaux ? Ou au contraire, le vase brisé est-il en train de se reconstituer ?
La seconde salle carrée, qui ouvre sur la cour de l’Hôtel Baudon de Mauny, baigne toujours dans une pénombre éclairée par Obole grecque (2020). Au mur, on retrouve le kilim Vase éclaté (2020).
Au centre du néon rouge, Nicolas Aguirre a posé un vase en céramique au décor floral de style oriental. Il fait naturellement écho au sujet du tapis turc. Les reflets du tube fluorescent sur la glaçure donnent la sensation que la panse et le col du vase ont été brisés. Leur incandescence évoque une réparation au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or, selon la méthode japonaise du kintsugi…
À gauche, accroché par deux pinces, on distingue dans l’ombre une impression sur fond bleu du motif choisi comme visuel pour « Mind the Gap 2 ».
Jean Luc Cougy , En revenant de l’expo (Texte et photographies),
février 2021