Ruta graveolens
De sa Provence natale à une Lozère printanière de 2015, toujours le coq a chanté. De cette garrigue aride en rocaille de calcaire blanc. À ces redescentes nocturnes de crêtes éclairées par la lune. Sentant le thym sous ses pas.
Tout jeune il criait : « Secouez les pruneaux ! » avec ses frères en se jetant corps et âmes dans les buissons de genévriers de Phénicie. Autrement il s’écorchait les genoux, les chevilles et les poignets dans les grands éboulis coulants des « barres rouges », en déchirant ses pantalons, dans l’odeur de rue (Ruta graveolens), en bouffant la poussière. Ça c’était le dimanche.
Finalement tout a commencé le dimanche, ce jour qui défie la semaine en la regardant de haut, qui défie l’espace et le temps, ce jour où l’on ne travaille pas. Un jour à braver la nature, à se mesurer à son potentiel, à s’y jeter vraiment, à s’y faire mal et à aimer ça, quand elle entre par les plaies ouvertes dans un corps qui ne demande qu’à comprendre.
De là vient la Porte je pense, la première Porte de l’histoire, de cette histoire en tout cas. Peut-être la porte qui s’ouvre entre l’homme et la nature. La porte aussi d’une mémoire, la porte des mémoires, puis à la porte des mémoires, celle de Monte et Descend. Celle qui s’ouvre quand on se fracasse le visage contre une pierre, quand on court à en trébucher dans les pentes, ou quand on peint son portrait en se frappant le dos d’un bâton. Celle des grands jeux des villages d’avant :
« Je dois jouer maintenant. Je choisis pierre pincée. Je prends dans chaque main un petit caillou que je serre entre le pouce et l’autre doigt. Je les entrechoque, de plus en plus fort, ils glissent parfois l’un contre l’autre et écorchent mes doigts, fendent mes ongles. Le sang ruisselle et forme un motif dans un cercle de terre fraîchement dégagée. Du bout des doigts je reproduis le motif sur mon front puis à pleine figure. Je cherche un bloc que je ne peux soulever, et de tout mon poids viens y écraser mon visage. C’est le rêve maintenant et je m’exécute. J’aime les jeux à la porte des mémoires. »
Extrait, Monte et Descend, LP 2007[1]
Aujourd’hui la porte est là. Statique comme une porte de grange devant laquelle chuteraient des pots de terre cuite. Effacée et furtive dans le gaz quand le pot éclate, portée par cette tête qui le frappe en cloche de messe contre les blocs de granit. En cloche de glas. C’est l’Angelus de Millet, la cloche à fendre les heures en même temps que les têtes, appuyées contre les portes, appuyées contre les manches de bêches ou à l’arrière des charrues.
Le paysage ne rend rien. Il absorbe tout. Les maisons, les villes et les villages, tout comme les corps qui s’y trouvent, morts ou vivants. Vous voulez comprendre... ? Alors il va falloir creuser. Creuser. Creuser. Creuser. Et par là-même n’oubliez pas d’y faire un trou, pour votre propre tombe. Que je vienne y creuser un jour. Et que d’autres plus tard viennent m’y creuser... C’est ça ou c’est la porte ! Sortez ! Rien à voir, rien à penser, rien. C’est ça ou c’est la porte, celle qui baille sur la nature, celle qui fait mal à la tête, celle qui se dit porte de l’art.
LP 2015
Lucien Pelen est né en 1978, il vit à Altier en Lozère.
La galerie chantiersBoîteNoire lui a consacré cinq expositions personnelles depuis 2005.
Son œuvre, fait l’objet de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Il a participé entre autres à La dégelée Rabelais au Château comtal de Carcassonne, Souvenirs de voyage au Musée de Grenoble, Le Mur à la Maison Rouge à Paris, Entre deux chaises, un livre à la Fondation Boghossian - Villa Empain à Bruxelles, Ainsi soit-il ! au Musée des Beaux-Arts de Lyon, (A)Pesanteur, récits sans gravité au Frac Lorraine à Metz, ainsi qu’au Musée archéologique Lattara de Lattes avec A la porte des mémoires. Récemment en duo avec Abdelkader Benchamma pour Pierre blanche, étoiles noires à l’ENSAM (Frac Occitanie Montpellier)
Présent à la FIAC, Preview Berlin et Slick Bruxelles, cette année à Paris Photo. Il est représenté par la galerie Aline Vidal à Paris et par Christian Laune à Montpellier.
Les photographies et les vidéos de Lucien Pelen sont présentes dans la prestigieuse collection Antoine de Galbert qui lui offre un soutien fidèle et précieux.
Le Frac Occitanie Montpellier possède plusieurs œuvres de cet artiste et participe activement à la diffusion de son travail. Une monographie intitulée Monte et descend produite en partenariat avec Antoine de Galbert, la galerie Aline Vidal, le Frac Occitanie Montpellier et la galerie chantiersBoîteNoire, paraîtra fin 2022.