Différents souvenirs de la matière
Palomar gardens
Pour aborder l’oeuvre d’Abdelkader Benchamma il faut retourner aux sources. L’artiste a toujours préféré la compagnie des livres à celle des tableaux ; Les fragments de ses lectures alimentent un récit qui se déroule depuis presque vingt ans sur le territoire absolu de l’étrange, aux confins de l’ésotérisme, de la science et de la magie.
Au départ, il y a de grands personnages isolés, parfois siamois, tel des monsieur K sorti d’un Kafka, qui se débattent face à une menace sourde, puis survient le petit peuple, qui tel une colonie de figurines génériques donne la mesure d’un opéra cosmique mental, fragmenté et sans échelle, perdu.
A partir de là, tout n’est qu’une question d’errance, d’exploration, d’immersion, de mutation, dans un territoire où règne l’absence, où tout semble se fondre, pour les personnages comme pour nous, dans la matière du dessin. On pense aux processions hallucinées et sublimes des films d’Artavazd Pelechian, où les cortèges rejouent des rituels oubliés, qui semblent pourtant essentiels à la survivance des mémoires.
Quand la lumière « coule » autour des objets (1), c’est l’invisible, parfois le mystère dissimulé, empaqueté, qui nous invite à résoudre l’énigme en devinant ce qui est caché dans le Tas, cet agrégat organique informe « résultat d’un phénomène naturel ou produit d’une activité humaine, intersection entre culture et matière ».
Au travers de recherches scientifiques et de littérature ufologique l’artiste interpelle dans son récit nos rapports aux croyances, aux fictions populaires. Il questionne l’usage des énergies immatérielles, des conditions d’apparition furtive des véhicules et des êtres extra-terrestres élevés au rang de messie ou de monstres envahisseurs.
Dans son film, Inland Empire, David Lynch signale l’entrée d’un monde parallèle par un graffiti mystérieux : AXXoNN ; Benchamma lui, rehausse à l’encre noire les sujets religieux ou pastoraux des gravures de Gustave Doré pour figurer des apparitions célestes récurrentes, des machineries complexes où rien n’est fixe, rien n’est stable, pire rien n’est logique.
Aujourd’hui, les dessins d’Abdelkader Benchamma provoquent un basculement, un changement de focale, lorsque le dessin qui ne tente plus de représenter un paysage mental, est devenu paysage, on devine dans les flots du magma furieux de l’encre, les bribes de sa bibliothèque qui croisent sereinement.
C.L
(1)
Quand la lumière « coule » autour des objets.
Des chercheurs britanniques et américains avancent qu’en théorie il est désormais possible de concevoir une barrière d’invisibilité, permettant de soustraire tout objet à la vue. Cette cape d’invisibilité, ou plutôt ce bouclier d’invisibilité, étant donnée la largeur que devrait accuser les premiers prototypes, ferait dévier les rayons lumineux, de façon à ce qu’ils s’incurve suffisamment pour éviter l’objet qu’elle dissimulerait : « C’est un peu comme si vous ouvriez un trou dans l’espace », explique David R .Smith, de la Duke’s Pratt School. En théorie, la lumière coulerait le long de l’objet protégé par le bouclier et épouserait ses formes